Abîme aujourd’hui la ville
De François Bon
Extraits de presse
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« Quelle représentation possible de la misère sociale au théâtre qui évite le voyeurisme, le pathos ou la démonstration bien pensante. La réponse est délicate et bien peu se risquent dans ce domaine. À partir d’un travail de François Bon auprès des sans-abri à Nancy, Claude Baqué a composé un spectacle d’une égale intégrité morale. Trois comédiens, Annie Mercier, Thierry Mettetal et Claude Baqué lui-même, dont le jeu fuit tout pittoresque malsain, font entendre, par bribes, les paroles de ces « marginaux » dont les portraits par Jérôme Schlomoff sont projetés sur un écran. Le dispositif scénique, comme les lumières de Matthieu Ferry sont sobres et beaux, une exigence qui signifie ici respect pour ceux dont on rapporte la souffrance. En la matière la question des moyens est essentielle et si cet Abîme aujourd’hui la ville n’épuise évidemment pas le débat, il lui donne une réponse convaincante et digne. On touche-là, au-delà de la circonstance de destins détruits, à des vérités humaines dont le partage est universel.
Jean-Pierre Siméon – L’Humanité – 24 juillet 2000
« Un spectacle sur les SDF ? Ça fait peur. Peur de se retrouver voyeur de la misère, peur du misérabilisme ou d’un discours politico-moralisateur. Claude Baqué a évité tous ces pièges, tout comme les avait évités François Bon dans son écriture. Ou plutôt celle des hommes et femmes de la rue qu’il a rencontrés. Qui ont accepté de lui donner leur parole ou leur silence. Qui ont accepté de donner leur visage à Jérôme Schlomoff pour d’immenses portrais projetés pendant la représentation. Annie Mercier regarde, les portraits. « Celui qui a perdu un œil, il dit… ». Ce sont leurs mots à eux qu’elle prononce avec retenue, avec respect. Parfois, elle se laisse aller « tous les jours, il y a un mot où le mort habite ». Fantôme du château, Thierry Mettetal diffuse une sorte de sérénité tragique, celle des archanges de la mort. De la forme blanche si souvent recroquevillée— à’, l’ombre noire géante sur’ l’écran, ‘sa’ voix si douce égrène: « J’en ai rien à foudre de la vie ». Le travail des lumières de Matthieu Ferry est un écho respectueux des mots. Des non-dits. Qu’il y a de grandeur au fond de cet abîme lorsqu’on s’y penche avec respect et pudeur. »
Mitzi Gerber – Le Dauphiné Libéré – 23 juillet 2000
« Des chaises parsemées sur un grand plateau presque vide. Au centre, un écran immense. Des photos noir et blanc de visages en gros plan s’y succèdent et alternent avec l’ombre projetée d’un personnage lunaire -Thierry Mettetal- qui raconte à la 1ère personne, quand les accents profonds et chauds d’Annie Mercier parlent à la 3ème. – – Ponctuellement, très fort, Johnny Hallyday. Les visages ont un nom, pas d’adresse, la misère de leur vie déborde sur les rives douloureuses d’une conscience collective bridée. Ce spectacle puissant et généreux justifie la légitimité de toute existence, restaure l’identité oubliée. L’humain réhabilite l’humain. Bravo à Acte Deux, François Bon, Claude Baqué, Jérôme Schlomoff. »
Natache Badia – La Provence – 30 juillet 2000
« En 1995, à l’invitation du metteur en scène Charles Tordjman, le romancier François Bon s’associait à la vie du théâtre de la Manufacture à Nancy et animait un atelier d’écriture ouvert aux sans-abri. De cette expérience, sont nés plusieurs ouvrages, notamment La Douceur dans l’abîme (éd. de la Nuée Bleue, 1999) réalisé avec le photographe Jérôme Schlomoff, qui met en vis à vis les visages cadrés serrés et les mots nés de l’atelier.
Rencontre singulière. A sa manière si particulière (ni roman, ni témoignage), l’auteur s’était emparé de leur parole pour écrire avec ses propres mots. Plus tard, les textes avaient été restitués à ceux qui les ont inspirés, par des acteurs, sous la forme d’une lecture mise en espace avec les photos projetées, dans la cantine d’un centre social de Nancy. La comédienne Annie Mercier – qui avait déjà travaillé avec François Bon pour Vie de Myriam C – était à ce rendez-vous unique. Des larmes avaient coulé des deux côtés.
Aujourd’hui, dans le off d’Avignon, le metteur en scène Claude Baqué s’inspire de cette rencontre singulière pour faire entendre ces paroles d’exclus, sur scène cette fois, avec la même Annie Mercier et un jeune acteur, Thierry Mettetal.
Sur le plateau, deux chaises et un écran. La femme à la voix rauque parle, elle est la voix qui dit «il» devant les visages projetés (des hommes pour la plupart), entre distance et sympathie; comme si les souvenirs de ces existences croisées brièvement remontaient en elle peu à peu. Patrick, Pôm, le petit Lambert et celui à l’«œil blanc», une petite larme bleue tatouée juste en dessous pour en pleurer toujours la perte.
Souffrance calme. Par contraste, le jeune homme endosse le «Je», son ombre portée sur l’écran vide: le ton n’est ni théâtral, ni démonstratif, mais davantage impliqué, nourri de désespoir ou de cynisme, digne, le regard brillant d’une souffrance calme. Le crâne rasé, le corps vêtu de blanc, neutre, pour qu’il n’y ait rien d’autres que les mots. Elle est la narratrice toujours en scène, il apparaît par intermittence. Loin de tout réalisme, la mise en scène a su rester discrète. Un train traverse l’espace sonore, on songe à celui que François Bon a pris chaque jeudi en direction de Nancy pendant plusieurs mois et dont il a retracé le chemin dans Paysage fer (Verdier).
Dans leurs phrases scandées de «il dit», on retrouve aussi trace de ceux dont la mort a déclenché après coup J’écriture d’une pièce de théâtre, Bruit, bientôt créée par Tordjman à Nancy: la jeune femme qui avait un soleil dessiné sur la peau, retrouvée inerte au petit matin dans son sac de couchage et l’autre, l’homme qui a disparu dans les eaux en crue sans que personne ne sache si on l’avait poussé ou s’y était jeté. Au terme d’une heure de cette étrange traversée, une phrase résonne longtemps: «On ne sait plus dire, y compris pour soi-même autrement que on.»
Maïa Bouteillet – Libération – 26 juillet 2000
«Ce texte de François Bon est magnifiquement interprété. Le sujet sur les SDF est complètement sublimé et il y a une recherche très pure sur les lignes. J’ai été bouleversé par ce spectacle.»
Robin Frédéric – La Lettre du pectacle – 18 juillet 2000
Eaux dormantes
de Lars Norén
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« Avec Eaux dormantes, nous sommes ailleurs, de l’autre côté du miroir, et ne savons plus trop si les personnages réunis pour un dîner que l’on ne verra jamais sont passés de vie à trépas. Avec un très subtil doigté, Claude Baqué nous laisse dans l’incertitude. Les comédiens (étonnante et superbe distribution) jouent de tous les registres, passent imperceptiblement de l’un à l’autre. Avons-nous affaire à des morts, à des survivants ? S’ils sont des rescapés (tous sont enfants ou amis proches de déportés), après Auschwitz, après le World Trade Center, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. C’est cela que Claude Baqué parvient à nous faire ressentir. »
Jean-Pierre Han, Témoignage Chrétien – 29 mars 2007
« Vertige. De digressions sur les voyages des uns et des autres en notations sur la musique de Bill Evans, le septuor d’acteurs, conduits par Claude Baqué, accomplit la prouesse de faire flotter ce vertige voulu entre ici et le territoire des ombres. »
Mathilde La Bardonnie, Libération – 4 juin 2007
« Sept contre l’évidence. Sept embarqués dans un étouffant huis-clos. Norén a lu ses classiques mais, chez lui, l’enfer n’est pas toujours les autres, l’enfer, c’est soi-même… et l’héritage de l’histoire. Ici, ce qui tient lieu d’armature dramatique, c’est la Shoah. Claude Baqué, qui met en scène la pièce, connaît très bien le monde sensible de Lars Norén. »
Armelle Héliot, Le Figaro – 12 juin 2007
« C’est là un partition troublante, poignante en creux, jouée par des comédiens à la présence convaincante laissant percevoir une direction d’acteur sinueuse. Dans ce moment de théâtre exigeant, soulignons encore la façon essentielle dont le décor et la lumière, dus à Matthieu Ferry, agissent en accord avec une mise en scène sobre. »
Aude Brédy, L’Humanité – 10 avril 2007
« Encore une fois, Lars Norén surprend et frappe fort. Il gomme la frontière entre les mondes vivants et celui des morts pour marteler les grands questionnements du temps présent : l’identité, la responsabilité, la mémoire. Il y a la perte du désir, il y a l’obsession et l’impossibilité de se souvenir, la persistance de l’abomination de l’holocauste. Le langage déborde, laisse affleurer les béances, les fractures intimes. Claude Baqué installe ce monde des ombres dans un no man’s land intemporel. »
Annie Chenieux, Le Journal du Dimanche – 30 mai 2007
« La mise en scène de Claude Baqué, comme ses précédentes, est d’une remarquable précision et la direction d’acteurs a été menée au plus serré. »
Philippe du Vignal – les Lettres Françaises – mai 20007
« Ces Eaux dormantes du suédois Lars Norén envoûtent véritablement le spectateur, tant par le fond que par la forme. Une distribution éblouissante d’abord, avec Michel Hermon et Serge Maggiani en particulier, ensuite une mise en scène lumineuse de Claude Baqué pour ces ténèbres nordiques venues d’un autre monde… »
Yonnel Liégeois , La Nouvelle Vie Ouvrière – mai 2007
« L’étrangeté de ce spectacle rend captif, captive le spectateur. Le libère dans sa faculté de rêve et d’intelligence. »
Jean Grapin, Impact Médecine – 31 mai 2007
« Claude Baqué a adapté et mis en scène cette pièce longue à la construction complexe avec souplesse et talent, car les mouvements des personnages sont rares.
Jacques Portes – Historiens et Géographes – mai 2007
« (…) Dans ce magistral huis-clos, Lars Norén enclenche le processus de la perte qu’il décline sous toutes ses formes. Perte de la mémoire, de l’identité, des rêves, de la vie… Pour appuyer le texte écrit au cordeau, Claude Baqué a opté pour une mise en scène épurée, d’un esthétisme glaçant. Les décors et costumes reflètent le noir des douleurs si difficilement dicibles. Un remarquable travail. »
Dimitri Denorme, Pariscope – mai 2007
« La mise en scène de Claude Baqué est allé dans le sens de l’abstraction et de la distanciation qui donnent au texte une résonance terrible et angoissante que la prestation hors pair des comédiens rend tangible. »
Martine Piazzon, Froggy’s Delight – 12 juin 2007
«… “Depuis que le genre humain est ce qu’il est, la barbarie est pérenne et n’a pas reculé d’un iota. Mais, par moments, ça et là, elle sommeille, elle germe, dans des eaux dormantes. En l’occurrence, on assiste à un dîner d’amis civilisés: psychiatre, avocats, journalistes, sensés se raconter leurs dernières vacances. Ils sont juifs et goys, parents ou proches de victimes du nazisme au siècle dernier. Entre amnésie et mémoire, entre absence et identité, entre anecdote et obsession, circulent, dans les Eaux dormantes les rhizomes de la cruauté humaine et de sa vanité universelle. Aucun auteur, à ce jour, n’est allé aussi loin que Lars Norén dans l’exploitation du labyrinthe à miroir qu’est l’âme humaine. Pour y mener le spectateur, il faut un metteur en scène à la hauteur, spécialement dans la direction des interprètes. C’est le cas avec Claude Baqué à Cergy-Pontoise. »
Jean-Marc Stricker, France-Musique – 10 mars 2007
Bobby Fischer vit à Pasadena
de Lars Norén
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« Il y a des pièces, ça ne s’explique pas, qui vous happent d’entrée ; Le miroir que tend le suédois Lars Norén au début de Bobby Fischer vit à Pasadena est du genre diabolique : à peine assis, hop, vous voilà de l’autre côté ; en enfer… Et quand son écriture rencontre un metteur en scène capable de plonger au texte plutôt que de faire des moulinets autour, le résultat est dévastateur. Claude Baqué, qui monte la pièce au Théâtre de l’Opprimé, a le cœur bien accroché, et ses comédiens (Geneviève Esménard, Isabelle Habiague, Alexis Nitzer, Nicolas Struve) encore plus… Dans la petite salle de l’Opprimé, les spectateurs, placés tout près des acteurs, se trouvent au cœur d’une action irrespirable. La lumière est basse, les comédiens jouent tellement justes qu’ils en deviennent irréels, on baigne dans un cauchemar très éloigné de la vulgarité d’un reality show. K.O à l’entracte, on y retourne, comme hypnotisé par les coups. Décidément maléfique, la pièce trouve le moyen, dans sa deuxième partie, d’être drôle. Vous avez dit théâtre à l’estomac ? Toute résistance est inutile. Norén est le plus fort.
René Solis – Libération – 24 mars 2002
« Lars Norén montre avec ce Bobby Fischer vit à Pasadena un sens subtil des dialogues et de la dramaturgie. Car cette pièce est une bombe. La mise en scène de Claude Baqué gère les situations avec beaucoup de finesse et un doigt d’humour salvateur dans la tension. Les comédiens sont tous remarquables, gardant toujours la retenue nécessaire, avec une mention spéciale à Nicolas Struve qui interprète avec une grande précision le personnage du fils schizophrène. »
Hugues Le Tanneur – Aden/Le Monde – 4 avril 2002
« Quand ils déboulent en tenue de soirée dans le salon de cet appartement bourgeois-intello, les quatre personnages de Bobby Fischer vit à Pasadena, pièce du Suédois Lars Norén, reviennent du théâtre. En parlent. Avec excitation. Surtout la mère. Dans sa logorrhée mondaine, on comprend vite qu’elle en fut de cette famille du théâtre. A la fin des quatre actes, les mêmes paraîtront dans une lumière d’un blanc clinique, l’image d’un univers quasi psychiatrique. Que s’est-il passé entre-temps ? Beaucoup de choses, beaucoup de dits et non-dits dans cette famille d’écorchés. Et l’on s’accroche très vite à leur histoire grâce à une mise en scène d’une rare efficacité. Grâce au jeu exemplaire des quatre comédiens. Les échecs qui affleurent de ce magma familial bousculent le spectateur. (…) Rien de sordide dans tout cela. L’humour, à défaut d’amour, n’est jamais loin. Juste un chassé-croisé entre faux-semblants et blessures indélébiles. Beau travail. »
Jean-Pierre Bourcier – La Tribune – 4 avril 2002
« De même que Jon Fosse, son voisin norvégien (mais dans un style différent !), Lars Noren est passé maître dans l’art de faire entendre ce qui ne se dit pas, ce qui ne s’avoue jamais à soi comme aux autres – blessures secrètes, douleurs cachées, désirs refoulés, rancœurs rentrées… enfermés depuis longtemps sous la double chape de la bonne conscience et du contentement de soi. Usant de la psychanalyse comme de la critique sociale, ce sont ces vérités qu’il fait remonter à la surface au fil d’une écriture qui gratte où ça fait mal, taille dans la chair. Metteur en scène, Claude Baqué a créé cette pièce en France au début du mois de mars. C’était à Mayenne. Il reprend ce spectacle pour quelques jours encore à Paris, dans un théâtre «alternatif» (et essentiel!) : le Théâtre de l’Opprimé. Il serait dommage qu’il ne soit pas représenté par la suite ailleurs. C’est qu’ici tout n’est qu’évidence, simplicité savante -du décor (un salon chic, sans chichis ) aux déplacements et au jeu des comédiens (ces «adultes qui font semblant, qui parlent et tournent en rond», comme l’affirme une réplique!). Un air de rien, ils font éclater le vernis des bonnes manières comme des bons (ou mauvais) sentiments pour conduire jusqu’au plus profond désarroi d’être. »
Didier Méreuze – La Croix – 5 avril 2002
« Bobby Fischer vit à Pasadena, en fait un titre écran, qui ne dévoile pas l’histoire ; et l’histoire on va la découvrir petit à petit, puisqu’au début on voit une famille rentrer chez elle, après avoir vu une pièce de théâtre un peu trouble. On voit un père chef d’entreprise, une mère, une fille, un fils. Des gens normaux, bourgeois, comme il faut. Et puis petit à petit on entre dans les liens intimes, les secrets. Et on découvre un père absent, caché dans les soucis de son travail, une mère étonnante d’hypocrisie, qui met en scène ses sentiments, qui a dû renoncer à sa carrière d’actrice pour être mère et femme d’un homme avec qui elle ne couche pas depuis dix-sept ans. On découvre une fille alcoolique, un fils psychotique qui à trente ans vient juste de sortir de l’hôpital. On découvre les fils qui les relient les uns avec les autres, et aussi le vide qui passe entre eux. On découvre comment on fait semblant de vivre, dans une belle maison, avec aussi une maison à la campagne, un voyage à l’étranger programmé pour Noël. On voit, on croit voir une famille, et on voit la carcasse de cette famille. Tout passe à travers les mots de Lars Norén, la tension est constante, le décor est minimaliste, les gestes, les déplacements sur scène aussi. Les comédiens arrivent à faire exister la tension du début jusqu’à la fin. Ils sont étonnants : tout dégringole en finesse, et tout semble tellement vrai. »
Monica Fontini – France Culture – 16 mars 2002
Anatole d’Arthur Schnitzler
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« Une intelligence féroce, désespérée, mène cette plongée dans les désaccords inguérissables de l’amour et du sexe, ce voyage au bout de nos nuits, où les femmes sont finalement meilleures que les hommes. Le spectacle de Claude Baqué épouse cette intelligence avec une joie théâtrale exceptionnelle. De cette grande soirée, on sort saisi par un bonheur noir. »
Gilles Costaz, Politis – septembre 2003
« Commençons par l’essentiel : ce spectacle est un régal de tous les instants. La pièce parle de l’inconscient, le fait consister plutôt et, sans aucun souci pédagogique, décrit de façon aérienne et enjouée, un peu triste parfois (il y a du Ibsen chez Schnitzler mais aussi du Tchekhov), la malédiction de l’hystérie et de la compulsion de répétition. Anatole (Carlo Brandt, parfait) aime les femmes, les filles des faubourgs, les bourgeoises mariées, les élégantes ou les danseuses de cabaret. Évidemment, il s’ingénie à tout faire échouer pour mieux jouir de son malheur, éternelle stratégie du névrosé. »
Hervé de Saint Hilaire, Le Figaro – septembre 2008
« Ce fut sa première œuvre dramatique, publiée en 1892. Un ensemble, déjà, de petites scènes, comme « Le Ronde ». Claude Baqué, qui les a traduites et qui les met en scène, dans un décor très sobre, presque nu, en conserve la référence fin de siècle, via les costumes, en cisèle la langue, superbe, raffinée, en ralentit un peu, juste assez, le rythme, pour qu’une distanciation un rien mélancolique puisse s’installer. Et dirige un éblouissant trio de comédiens qui donnent à cet ensemble sans autre lien apparent qu’une atmosphère, celle du désir, et qu’une même vérité, celle de la difficulté d’aimer, une élégance un peu désuète étrangement fascinante. Une soirée au charme rare, un peu exigeant, dont on se souviendra comme d’une belle chose. »
Annie Coppermann, Les Échos – 25 septembre 2003
« Claude Baqué, qui a traduit la pièce, la met en scène dans un décor dépouillé et une atmosphère élégante, un brin désuète. À l’affiche, un trio d’excellents comédiens. Jacques Denis, l’ami fidèle ; sage, souvent moqueur. Carlo Brandt, que l’on n’attend pas dans ce rôle d’homme blessé, perturbé, et Zabou Breitman. Dans de ravissants costumes, elle est radieuse, mutine, enjôleuse et jalouse, pleine de charme. Mêlant mystère et séduction, chacune de ses apparitions est un vrai bonheur.
Arlette Frazer – le « choix » de Pariscope – 8 octobre 2003
« Avec cet Anatole, Claude Baqué nous donne un spectacle jubilatoire. Appuyée sur un décor épuré et des costumes élégants, sa mise en scène braque une lumière subtile sur la mécanique cruelle de Schnitzler. »
Vincent Philippe – 24 heures Lausanne – 21 octobre 2009
« Le décor, obscur et sobre, rejette l’anecdote au profit du « théâtre mental », mais les costumes ancrent la pièce dans son espace-temps, juste tension entre l’universalité d’une parole sur le désir et les déterminations culturelles du moment. Au final, une proposition théâtrale brillante. »
Pierre David – Réforme – 2 octobre 2003
« L’inconscient, le jeu subtil entre les illusions et la vérité, le reflet des images intérieures jouent un rôle considérable. Le décor tout en sobres reflets de Matthieu Ferry, qui signe aussi les très belles lumières, participe de cette volonté d’aller au-delà du miroir, au-delà des typologies faciles… Une très belle pièce, où les faux-semblants, l’hypocrisie, la jalousie et l’amour-propre montrent tout ce dont ils sont capables pour compliquer la quête du bonheur. Dans Vienne brillante mais déjà aux portes d’un autre monde. »
Agnès Santi – La Terrasse – octobre 2009
« Zabou Breitman est à elle seule un orchestre de musique de chambre. Demi-mondaine ou mondaine entière, file de joie devenue profonde, acrobate, danseuse, femme adultère, russe envahissante, chaque fois, cette comédienne exceptionnelle construit un être complet, complexe, avec ses doutes, ses contradictions, ses stratégies, ses douleurs, ses non-dits. Et, pour conclure, une bouleversante sagesse féminine, en avance sur son temps, et sur le nôtre, encore. »
Jean-Marc Striker – France-Inter – 21 septembre 2008
« Belle scénographie de Matthieu Ferry, dont chaque changement de tableau évoque un cadre de Klimt, atmosphère fin de siècle, cet Anatole, rarement joué, vaut par son élégance mélancolique. »
Annie Chenieux – Le Journal du Dimanche – 28 septembre 2003
« Filant les traces d’une ronde de personnages pris dans un entrelacs d’imbroglios sentimentaux, Anatole fait constamment émerger le léger tremblement des choses et des êtres, les troubles d’une impossible union du féminin et du masculin. Claude Baqué capte ce bouillonnement de vie à la volée de scènes superbement agencées : avec un sens remarquable des temps et des contretemps et de l’agencement dramatique, le metteur en scène nous fait découvrir peu à peu l’écheveau des désirs, des doutes qui les unissent, de petites trahisons et manipulations qui les désunissent. Grandes qualités esthétiques (lumière et décor de Matthieu Ferry), aphorismes caustiques, texte brillant sculpté à l’ébauchoir : le spectacle appelle tous nos bis. »
Myriem Hajoui – A nous Paris – 27 octobre 2003
L’entretien s’est déroulé à Stockholm, en novembre 2004. Il a été enregistré et traduit par Katrin Ahlgren.
Claude Baqué – Quand la pièce s’est jouée à Berlin, elle s’appelait Tristano, et à Stockholm elle s’appelait Stilla vatten…
Lars Norén – Je préfère Stilla vatten, c’est un titre plus pertinent…
C.B. – Dans quel esprit as-tu effectué les modifications entre les deux versions ?
L.N. – J’avais envie d’aller plus loin avec certains acteurs à Berlin et avec d’autres à Stockholm… En fait, c’est aussi bien que ce soit quelqu’un d’autre qui monte mes pièces, parce que je n’ai pas de respect pour un texte que j’ai écrit moi-même… ça m’ennuie, alors je fais des changements…
C.B. – J’aimerais beaucoup savoir d’où viennent les personnages de Stilla vatten – dans ton théâtre, dans ton histoire…
L.N. – Ils sont très proches des personnages d’une pièce qui s’appelle Endagsvarelser (« Êtres d’un Jour »). Mais dans cette pièce les personnages sont un peu plus jeunes et ils ont abandonné leurs convictions. Ils ne savent plus quoi faire dans la vie… Et ça, c’est une sorte de mort…
J’ai commencé à écrire Stilla Vatten en 1982…ensuite j’ai écrit de temps en temps… j’ai repris en 1992, et quand ils m’ont demandé de venir en Allemagne, j’ai choisi cette pièce…
Il y a un sujet qui revient dans toutes mes pièces – la mort – pourquoi certains veulent vivre, pourquoi ils survivent et pourquoi d’autres cèdent et abandonnent la vie… Ce que nous n’avons pas réalisé dans la vie ou ce qui n’est pas advenu comme nous l’avons espéré ou pensé peut devenir très dominant – nous pouvons voir cela comme une sorte de mort dans la vie… Pour la mère (Emma) la vie s’est arrêtée quand sa fille est morte. Maintenant elle ne comprend pas que le monde continue à changer et que le temps passe. Pour ce qui est du père (Daniel), il ne se laisse pas influencer, il continue à mener la même vie qu’avant – il maintient les mêmes structures. Et c’est lui le premier à céder et à entrer dans le » royaume des morts » – il n’a plus grand chose à perdre…
Maintenant je reviens à ta question… Je suis influencé par les différents lieux où je travaille !…Je peux donner un exemple, quand j’étais à Berlin pour monter Stilla vatten, je suis passé par la Place de l’Université et là, il y avait une grande surface vitrée au sol à travers laquelle j’ai vu de très grandes bibliothèques – de belles bibliothèques blanches où il n’y avait pas un seul livre… Il se trouve que c’était un monument en mémoire de l’Autodafé de 1933. Plus tard, quand j’ai monté la pièce à Stockholm, j’ai essayé de recréer ce lieu. J’ai mis des bibliothèques sur la scène, des bibliothèques vides mais en même temps très présentes…
C.B. – C’est ce que tu appelles » les livres de cendres » ?
L.N. – Oui…
C.B. – Il y a un philosophe français qui a dit quelque part que «ne pas faire de différence entre la vie et la mort est aussi subversif que la transsexualité »… Je crois que c’est Baudrillard… Il y a quelque chose d’aussi fort et d’aussi subversif, une espèce de transparence entre la vie et la mort dans ta pièce… une sorte de translucidité…
L.N. – C’est tout à fait ça. C’est comme ça que j’ai essayé de l’écrire aussi, que le passage entre la vie et la mort soit invisible. Pendant les répétitions j’essaie souvent d’exprimer cela par des positions, par exemple quand un acteur lève la main et qu’il s’immobilise, c’est comme s’il mourrait au milieu d’un geste… Et je vis l’existence de la même manière – le théâtre, la communication et l’amour… C’est comme une danse, comme un mouvement et quand le mouvement s’arrête, il n’y a plus rien… C’est pareil avec nos vies… J’ai essayé d’écrire la pièce comme un mouvement – sans frontière entre la vie et la mort… ça coule seulement … et c’est ça que je trouve fantastique, avec le théâtre et avec la danse – cette chose qui meurt au moment d’être vécue… De temps en temps je fais travailler les acteurs avec des mouvements très lents, ils doivent se déplacer comme s’ils étaient morts et ensuite ils doivent s’arrêter dans un rire ou dans un sourire… je donne souvent aux acteurs un grand nombre d’images de la mort… Si nous regardons nos vies en arrière, c’est l’histoire de la mort – la mort parce qu’avant c’était la vie… Le dernier été avant la rentrée des classes, par exemple, ou quand l’école se termine pour de bon, alors il y a une fin et il y a quelque chose qui meurt… Tout le temps nous quittons quelque chose, c’est comme les chapitres d’une vie… Et on a l’impression d’aller vers une conclusion finale de tous ces chapitres, mais ce ne se passe pas comme ça. Tout d’un coup, c’est l’histoire qui s’arrête…
C.B. – Stilla Vatten traite de ce qui est perdu… Et de ce qui reste… Chaque personnage a une perte différente: la mémoire, l’identité, le désir… Et le langage !… Ce qui me plaît beaucoup, c’est que tu arrives à donner corps à une idée pourtant très abstraite: que le langage est notre demeure, qu’on habite le langage…
L.N. – Oui, je pense que d’une certaine manière le langage est notre demeure, et que c’est une demeure perdue…
C.B. – On a le sentiment que ces personnages juifs de Stilla vatten sont dans une sorte d’éternel présent, que leur mémoire est en dehors d’eux, quelque chose de l’ordre de l’inoubliable plutôt que de la mémoire…
L.N. – Il y a des souvenirs qui passent comme des ombres à travers leur conscience… C’est comme des ombres qui passent… Il s’agit donc de créer, dès le début, une sorte de mouvement… Comme de l’eau qui coule… Et l’eau cherche la tranquillité, elle va vers le calme… Elle coule parce qu’il y a une force qui l’y contraint…
Pour moi, il y a une différence énorme entre notre mort suédoise et la mort juive. C’est aussi écrit dans la pièce, « nous, on sait comment nos morts sont morts « , nous avons souvent une explication à notre mort, la maladie, l’âge… Alors que la mort des juifs fut une mort absurde sur tous les plans. Et les juifs n’ont pas eu le temps de dire au revoir… C’est la raison pour laquelle la conscience de la mort chez Judith et chez Daniel est plus sombre – la mort juive est tellement cruelle qu’on ne peut pas la décrire… Pour moi on peut parler d’une autre sorte de mort après Auschwitz…
C.B. – Jonas dit à un moment : « Je m’appelle Bruno Bettelheim ». Il y a une filiation entre Jonas et Tomas l’autiste de Bobby Fischer. Ils parlent de la même façon…
L.N. – Oui…
C.B. – …Et en arrière plan de ce personnage, comme en ligne de fuite, on trouve Jessica (l’enfant morte de Daniel et Emma) et Jacob (qui a été cobaye humain). J’aimerais beaucoup, dans ma mise en scène, chercher le point de vue de Jessica… que l’on puisse, à un moment, voir la pièce à travers les yeux de Jessica …
L.N. – C’est une bonne idée ! Absolument…
C.B. – Et Jacob…?
L.N. – Je connais un homme juif, il a 63 ans – ce n’est pas Jacob. Il a été placé dans un camp en Pologne quand il avait 6 ans et puis quand il est arrivé à Auschwitz les médecins ont fait des expériences sur lui – pas le docteur Mengele mais d’autres…. Après la guerre il est parti au Danemark et ensuite en Israël et maintenant il vit en Suède. Il m’a raconté que les Allemands cassaient le nez des enfants pour qu’ils respirent avec la bouche quand ils allaient dans les chambres à gaz. J’aimerais rajouter cette image dans le récit de Jacob pour montrer à quel point les Allemands étaient cruels… C’est comme une plaie saignante…
Entretien traduit par Katrin Ahlgren