Caroline Braud / Le Parisien
« Ibsen. Il est difficile de tenir entre nos mains cette neige sombre et comme éclairée par le soleil noir de la mélancolie de Dürer.
Un schizophrène habite tous les artistes. Beaucoup en éprouvent de la honte et le cachent. D’autres ne sont que sa main-d’œuvre. D’autres collaborent avec lui.
Sans ce fou mêlé à nos ténèbres intimes, une œuvre de poète ne serait rien.
Chez Ibsen, la permanence d’un tel fantôme ressemble à cette fausse nuit nordique où baignent les pièces de Strindberg.
L’admirable d’Ibsen, c’est la force avec la quelle il brave l’hôte inconnu. Il lui oppose la sagesse du psychologue et les pointes de la satire. Peer Gynt résume ce travail s’alchimiste et lorsque Peer devient le cocher du lit de mort de sa mère, l’intelligence (la grande ennemie des poètes) cède la place aux miracles du cœur. Le schizophrène et le dramturge réussissent l’équilibre merveilleux qui ne semble plus venir d’un homme célèbre mais être l’expresssion anonyme d’une époque et d’une patrie.
C’est l’extrême pointe où le style domine un style particulier et rejoint les phénomènes et les énigmes de la nature.
Les revenants, Maison de Poupée, La Comédie de l’amour. Par ces trois contrastes débute un long cortège, véritable avant-garde du réalisme irréel qui sera un jour le signe de notre siècle. »
« Je suis tombée sous le charme de La dame de la mer dès la première lecture. Comment ne pas m’identifier à cette femme si moderne qui, justement, s’applique à rompre le charme ? Qui, plutôt que de céder, telle une héroïne tragique, à un inextricable conflit intérieur, accepte de s’en libérer par le dialogue ?
En choisissant son mari plutôt qu’un ténébreux marin, elle se libère de ses propres fantasmes et ouvre la voie au véritable amour et, selon moi, à la création…
C’est à cet appel du large au sens onirique que je réponds. Jouer la dame de la mer, c’est lui donner une voix, une voix qui parle, qui dialogue, mais aussi une voix qui chante, qui s’égare d’abord pour enfin s’incarner, qui de voix intérieure se mue en célébration de l’eau et des rêves.»
Camille
« L’excellente Zabou Breitman et Carlo Brandt, notamment, sont les interprètes d’Anatole, une pièce rarement jouée du grand auteur autrichien Arthur Schnitzler, traduite et mise en scène par Claude Baqué.
Publiée en 1892, Anatole est la première pièce de Schnitzler. C’est un cycle de huit saynètes, autonomes, ayant le même héros, Anatole, flanqué de son vieil ami Max et chaque fois en affaire amoureuse avec une femme différente. Dans les bras ou sur les bras, c’est selon. Ce sont huit variations sur le thème du mensonge amoureux ou de l’amour mensonger. Anatole est un Don Juan désabusé, un dandy mélancolique.
Carlo Brand a fabriqué son personnage avec beaucoup d’habileté, mais une certaine uniformité. Jacques Denis, en revanche, réserve des surprises dans le rôle du confident fidèle et taquin. Face à ces deux solistes, Zabou Breitman est à elle seule un orchestre de musique de chambre. Demi mondaine ou mondaine entière, fille de joie devenue profonde, acrobate, danseuse, femme adultère, russe envahissante, chaque fois, cette comédienne exceptionnelle construit un être complet, complexe, avec ses doutes, ses contradictions, ses stratégies, ses douleurs, ses non dits. Et, pour conclure, une bouleversante sagesse féminine, en avance sur son temps, et sur le nôtre, encore. »
Chronique Théâtrale de Jean-Marc Stricker, du 21 septembre 2003
« … parce qu’un homme meurt d’abord, puis cherche sa mort et la rencontre finalement, par hasard, sur le trajet hasardeux d’une lumière à une autre lumière, et il dit : donc ce n’était que cela. »
Bernard-Marie Koltès
• Création au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-france, le 26 juin 1999.
• Avec Laure Boussu, Patrick Degorce, Michel Demange, Martine Dumas, Valérie Lebois, Didier Martineau, Jean-Claude Owana-Manga, David Sigal, Micheline Trillaud, Christine Zonnekynd.
• Scénographie-costumes: Corinne Claret / Création sonore: François Olivier / Création lumières: Fabien Lamri / Régisseur général: Laurent Carpentier / Régisseur son: Jean-Charles Robin
“J’étais fasciné par la photo du visage”, nous dit Koltès. On songe à ce portrait fameux de Rimbaud, qu’il avait placardé dans sa chambre. On songe à ces photos de James Dean aussi, qu’il adorait. On pense enfin à Koltès lui-même, pris au miroir de sa galerie d’anges noirs. Il s’envolera peu après son Roberto Zucco. Un chef-d’œuvre presqu’inachevé. Une histoire de sangs. Le sang des pères. Le sang des mères. Le sang des enfants. Et le sang des frères, celui qui coule sur le trottoir.
Deux choses me remplissent d’horreur, écrivait Stig Dagerman – un autre de cette patrouille des anges – : le bourreau en moi et la hache au-dessus de moi. »
Claude Baqué
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FAIT DIVERS : “Au terme d’une cavale effrénée, l’assassin d’un inspecteur de police toulonnais, qui se révélera également auteur d’autres agressions, vols et meurtres, est arrêté en Italie, où on le voit une dernière fois apostrophant une foule du toit de sa prison. Il s’agit d’un malade mental italien, Roberto Succo, âgé de vingt-six ans, interné pour avoir tué ses parents, et qui s’était évadé de l’hôpital psychiatrique où il bénéficiait d’un régime de semi-liberté, compte tenu de sa conduite irréprochable et d’études exemplaires qui lui avaient permis de décrocher le baccalauréat. C’est la diffusion d’une affiche d’un avis de recherche comportant sa photo et son signalement qui permet de l’identifier grâce au témoignange d’une adolescente, ancienne petite amie du tueur. Arrêté peu après, celui qu’on avait surnommé “l’homme au treillis” se suicide dans sa cellule du pénitencier de Vicenza.”