Revue de presse / La Dame de la mer

 

Le Mercredi 28 mars 2012 / Les Inrockuptibles / Hugues Le Tanneur

La chanteuse Camille interprète Ellida, l’héroïne hantée d’une des pièces les plus attachantes, mais aussi les plus énigmatiques d’Ibsen. ? lire la suite…

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Le Samedi 24 mars 2012 / Ouest-France /

Le Théâtre des Jacobins était plein pour recevoir,  jeudi soir, une pièce d’Ibsen, « La Dame de la mer », dans une nouvelle adaptation. Superbe. ? lire la suite…

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Le Vendredi 16 mars 2012 / La Quinzaine Littéraire / Monique Le Roux

« Comédie du remariage »: un œuvre d’Ibsen, située entre Rosmersholm (1986) et Hedda Gabler (1890), dans le sombre cycle des douze dernières pièces ? ? lire la suite…

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Le Jeudi 15 mars 2012 / Théâtral Magazine / Hélène Chevrier

Ellida est l’épouse discrète du docteur Wangel. Depuis la mort de leur enfant, elle refuse tout contact intime avec son mari? lire la suite…

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Le Lundi 12 mars 2012 / Evene.fr / Patrick Sourd

Il était une fois une fois une jeune fille qui s’appelait Ellida. Après s’être amourachée d’un marin peu recommandable, elle fait le vœu d’attendre son retour d’une croisière au long cours pour enfin l’épouser. ? voir le lien

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Le Lundi 12 mars 2012 / Direct Matin

C’est dans une pièce du norvégien Henrik Ibsen, La Dame de la mer, que la chanteuse Camille s’offre son baptême du feu sur les planches. ? lire la suite…

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Le Dimanche 11 mars 2012 / snes.edu / Francis Dubois

Ellida était la fille du gardien de phare. Après la mort de son père, elle a épousé le docteur Wangel, un homme beaucoup plus âgé qu’elle.   ? lire la suite…

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Le Samedi 10 mars 2012 Marianne / Olivier Maison

Camille s’est lancé un défi artistique en interprétant le rôle principal d’une pièce d’Ibsen peu jouée en France, La Dame de la mer. ? lire la suite…

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Le Vendredi 9 mars 2012 / Télérama.fr / Aurélien Frenczi

Lever de rideau. Nicoals maury joue dans « La Dame de la mer ». Une présence particulière, des apparitions qu’on n’oublie pas. Niclas Maury, acteur à suivre, est Lyngstrand, aux côtés de la chanteuse Camille, dans la pièce d’Ibsen. ? lire la suite…

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• Le Mercredi 7 mars 2012 / Première.fr / Marie Plantin

On n’attendait pas de si tôt les premiers pas de Camille dans une pièce de théâtre, tant la chanteuse semble se consacrer toute entière à son art, avec une exigence et en engagement qui ne laissaient pas présager… ? lire la suite…

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• Le lundi 5 mars 2012 / L’Humanité / Marie-José Sirach

Tragédie norvégienne sur les bords d’un fjord. Contrairement à La Maison de Poupée, l’une des pièces les plus connues et montées d’Ibsen, La Dame de la mer est peu représentée sous nos latitudes moins polaires.  ? Le PDF…

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• Le dimanche 4 mars 2012 / Lestroiscoups.com / Lucile Féliers

«L’Éternité. C’est la mer allée avec le soleil» (Rimbaud). Claude Baqué et son équipe inondent les Bouffes du Nord d’une magnifique Dame de la mer. une immersion exaltante dans les eaux troubles de l’émancipation. ? le lien

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• Le samedi 3 mars 2012 / Le Journal Du Dimanche /Alexis Campion

Quand elle ne chante pas, Camille joue Ibsen. Ellida cultive une curieuse mélancolie: la nostalgie de la mer. Attirée et effrayée par le souvenir d’un amour antérieur, ? lire la suite…

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• Le vendredi 2 mars 2012nouvelobs.comOdile Quirot

Le cri de Camille dans « La Dame de la mer » d’Ibsen. L’attachante chanteuse de « Ta Douleur » fait des débuts de sirène au théâtre, sertie dans une mise en scène d’une grande beauté visuelle. ? lire la suite…

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Le jeudi 1er mars 2012 Le ParisienThierry Dague

Camille étonne encore dans « La Dame de la mer ». C’est ce qui s’appelle se jeter à l’eau. Pour ses débuts au théâtre, Camille et tous les comédiens de « La Dame de la mer » ? lire la suite…

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• Le mercredi 29 février 2012 / sceneweb.frStéphane Capron

Camille, mélancolique dame de la mer. Ellida (Camille) est une femme de la mer. Fille d’un gardien de phare, elle s’est mariée à la mort de son père avec le docteur Wangel (Didier Flamand), homme plus âgé qu’elle.   ? lire la suite…

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Émilie Counil / Parcours

 

Formation musicale:

Juin 2003       médaille d’or de cor au CRD d’Auxerre. Étudie le basson durant un an au CRD d’Auxerre

Juin 2003 / Médaille d’or de formation musicale au Conservatoire à Rayonnement Départemental d’Auxerre

Étudie le basson durant un an au CRD d’Auxerre

Juin 2004  / Diplôme d’écriture de 1ère année au CRD d’Auxerre

Étudie le piano jusqu’au certificat de fin d’études musicales au CRD d’Auxerre (puis au CNSMDP avec l’option piano durant 2 ans)

Compose « Balade au Pays d’Ocre », pièce de 15 min jouée en audition au CRD d’Auxerre en formation piano, violoncelle, violon et 2 flûtes

2004  / Étudie la direction d’orchestre au CRD d’Auxerre

Février 2006 / Entrée à l’unanimité au CNSMDP (cor)

Juin 2010  / Diplôme de fin d’études supérieures du CNSMDP (cor)

Activités professionnelles:

Animateur technicien (professeur de formation musicale cours d’adultes compris) à l’école municipale de musique de Toucy de septembre 2003 à juin 2006

Animateur technicien (professeur de chant-chorale) durant un stage de l’école municipale de musique de Toucy en 2005

Orchestre-atelier ostinato (association Demi-Soupir) de 2004 à 2007

Participation à l’orchestre de l’association M-A Crochart en 2007

Participation  à l’orchestre Spectacles en Liberté juin 2008

Participations à l’association Jeunesse des Arts dans l’Yonne en 2007 et 08

Fidèle au festival Nuits Lyriques à Bastia depuis août 2008

Participation à l’Opéra de Marseille en juin 2009

Participations à l’Orchestre Symphonique de l’Aube durant 2009-2010

Participations à l’Orchestre National d’Ile de France durant 2007-2008 puis en septembre 2010

Participation à la comédie musicale Mozart l’Opera Rock en 2010

Participe régulièrement à l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire (CNSMDP)


Actualité radio/télé

 

Mercredi 7 mars 2012 / Downtown

Le reportage d’Elsa Deynac sur Camille aux Bouffes du Nord, dans Downtown. A 18h.


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Dimanche 4 mars 2012Changement de décor

Joëlle Gayot reçoit Nicolas Maury, pour son émission Changement de décor, sur France-Culture. De 23h à 23h30.

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Samedi 3 mars / France Info

Sujet sur La Dame de la mer dans Culture Week-end, par Claire Baudéan, entre 9h et 9h30

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Vendredi 2 mars 2012 Studio Théâtre

Laure Adler reçoit Nicolas Maury et Claude Baqué, pour son émission Studio Théâtre, sur France-Inter. De 23h15 à minuit.

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Vendredi 2 mars 2012 / France Inter-Le Journal

Reportage d’Isabelle Pasquier diffusé au journal de 8h présenté par Mickaël Thébault.

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Jeudi 1er mars 2012BFMTV-Showtime

Sujet de Pauline Reboul diffusé  vers 20h au cours de la Chronique Showtime.

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Samedi 18 février / L’Atelier de Camille

Vincent Josse consacre son émission L’Atelier, sur France Inter, aux premiers pas de Camille au théâtre. À La Comète, scène nationale de Châlons en Champagne. Interviews de Camille, Claude Baqué, Isabelle Antoine, Clément Ducol, Nicolas Martel. 18h20 à 18h54.

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Mardi 14 février 2012 / La Dispute

Interview téléphonique en direct de Claude Baqué par Arnaud Laporte, pour son « coup de fil à une scène nationale », lors de son émission La Dispute, sur France-Culture. A 21H40.

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Lundi 13 février 2012

Interview en direct de Camille, sur France 3 Champagne-Ardenne. De 13h20 à 13h30. Images tournées à La Comète, scène nationale de Châlons-en-Champagne.

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Jean-Pierre Sarrazac / L’Épilogue ibsénien

Extrait de Théâtres intimes, Actes Sud, 1989

« Epilogue dramatique » : c’est ainsi qu’Ibsen qualifiait Quand nous nous réveillerons d’entre les morts (1899), la pièce qui, écrite peu avant son attaque d’apoplexie, fut son ultime œuvre littéraire. La formule convient parfaitement à ce drame où un grand sculpteur et son ancien modèle ne se retrouvent après des années de séparation que pour se déclarer leur amour mutuel et marcher ensemble à la rencontre de la mort ; mais elle éclaire également la production dramatique antérieure de l’écrivain norvégien depuis Maison de poupée (1879). Chacun des drames intimes – ou « domestiques » – d’Ibsen se présente, en effet, comme l’épilogue d’un roman non écrit dont la matière constituerait la trame et l’aliment exclusif de l’action dramatique. Lorsqu’ils entrent en scène, les personnages de Hedda Gabler ou de Rosmersholm, du Canard sauvage ou de Solness le constructeur ont déjà incubé comme une maladie ce « roman familial » qui couvre leur existence commune et remonte jusqu’avant leur naissance. Il ne leur reste plus qu’à en jouer le climax, le dénouement, la Catastrophe. « Tout est déjà là et n’est que porté au jour », pour reprendre l’analyse d’Œdipe roi par Schiller déjà appliquée par Peter Szondi au drame ibsénien.

Cependant, dans la dramaturgie ibsénienne, à la différence de la sophocléenne, ce sont moins des faits – comme avoir tué son père et épousé sa mère – qui émergent du passé et contaminent le présent qu’un sentiment diffus de culpabilité. Objectivement, les personnages ibséniens n’ont rien de plus grave à se reprocher que quelques lâchetés, négligences ou malversations ordinaires. Subjectivement, ils se sentent coupables au dernier degré. Chez Ibsen, le tragique n’est pas relié à un événement ou à une fatalité extérieurs au personnage mais déterminé par un état et une évolution psychiques internes qui, à la limite, n’ont d’existence que pour ce seul personnage. A l’inverse de l’Œdipe de Sophocle, qui reste jusqu’au dernier moment dans l’ignorance de la faute qu’il a commise malgré lui, le personnage ibsénien est, d’entrée de jeu, miné par le sentiment d’une faute qu’il n’a peut-être pas commise.

Dans l’intime de l’être…

Maeterlinck a donné un nom paradoxal à ce tragique moderne qui s’impose à partir d’Ibsen; il l’a appelé le « tragique du bonheur ». Tragique de la « vie immobile » que traduira un « théâtre statique » : « Est-il donc hasardeux, s’interroge le poète et dramaturge belge, d’affirmer que le véritable tragique de la vie, le tragique normal, profond et général, ne commence qu’au moment où ce qu’on appelle les aventures, les douleurs et les dangers sont passés ? Le bonheur n’aurait-il pas le bras plus long que le malheur et certaines de ses forces ne s’approcheraient-elles pas davantage de l’âme humaine ? ( … ) N’est-ce pas quand un homme se croit à l’abri de la mort extérieure que l’étrange et silencieuse tragédie de l’être et de l’immensité ouvre vraiment les portes de son théâtre? » Hedda Gabler ou Hialmar Ekdal nous paraissent d’autant plus pitoyables que le bonheur – entendons une existence familiale paisible et harmonieuse – est à tout moment à portée de leur main et qu’ils sont incapables de le saisir, et qu’ils se laissent submerger par un malheur d’origine inconnue, souterraine. L’être intime des principaux personnages ibséniens est le site de cette fatale résurgence, le lieu où ils ne cessent de ruminer, de ressasser, jusqu’à la Catastrophe, en une sorte de cure mortifère, de psychanalyse à l’envers, leur « roman familial ». Après celle du grand (Edipe, le théâtre d’Ibsen n’inaugure-t-il pas l’ère des petits œdipes que nous sommes tous au-dedans de nous-mêmes ? Métamorphose que nous avait laissé pressentir, en se situant à mi-chemin du héros antique et du « petit homme » moderne, le Hamlet de Shakespeare.

Déjà Hamlet puisait son infortune dans ses soupçons, dans ses visions et dans ses fantasmes ; son destin procédait d’une intériorité maladive tout autant que de l’événement extérieur. Hedda et Hialmar parachèvent cette subjectivisation du malheur. Le tragique moderne, dont Ibsen établit les prémices, ne nous donne plus à voir la grandiose culbute d’un héros mais le périple immobile, le long stationnement au bord du vide d’hommes ordinaires en proie à la pulsion de mort. La névrose et tout le cortège des maladies de l’âme font leur entrée sur la scène. Désormais, les retournements de fortune, les péripéties n’auront d’autre théâtre que celui de l’être intime. Ainsi de la Rebecca West de Rosmersbolm, que Freud, précisément, érigera en personnage emblématique de ces névrosés qui « échouent devant le succès » : après avoir souhaité conquérir Rosmer et son domaine et au moment où cet homme lui propose le mariage, elle ne consent qu’à aller se jeter dans le torrent avec lui. Quelques années avant les principales découvertes du freudisme, Ibsen dote ses personnages d’une psyché qui déborde largement leur conscience et ne cesse de la troubler. Et, tout en prétendant préserver l’intégrité de la forme et de l’action dramatiques, il transforme la scène, quasiment malgré lui, en un écran sur lequel seront projetés les scénarios fantasmatiques et les pulsions inconscientes de ses personnages.

Le rôle-titre du Petit Eyolf, un garçon infirme de neuf ans, meurt par noyade – d’une mort qui ressemble étrangement à un suicide – à l’instant même où, sur la scène, sa mère est en train de trahir, devant son mari, son désir subconscient de cette disparition :

« RITA. Tu ne peux pas prononcer le nom d’Eyolf sans émotion, sans que ta voix tremble. (D’une voix menaçante, les poings serrés.) Ah ! je souhaiterais presque… Enfin!

ALLMERS (avec un regard anxieux). Que souhaiterais-tu, Rita ?…

RITA (avec emportement, s’écartant de lui). Non, non, non, je ne veux pas le dire. Je ne le dirai pas!

ALLMERS (s’approchant d’elle). Rita !Pour ton propre bonheur comme pour le mien, je t’en supplie, ne te laisse pas aller à de mauvaises pensées. »

La coïncidence entre la pulsion infanticide jusqu’alors refoulée et le tragique « accident » est trop forte pour qu’on n’invoque pas ce chapitre clé de l’Interprétation des rêves où il est question du « rêve de la mort de personnes chères ». D’autant que l’émergence progressive du roman implicite confirme l’hypothèse d’une cohérence onirique du drame de la mort du Petit Eyolf. Un peu plus tard, Allmers prend Asta à témoin de son désespoir et lui demande : « Est-ce donc vrai, Asta ? Ou suis-je devenu fou? Ou bien n’est-ce qu’un songe ? Oh, si ce n’était qu’un songe ! Quelle joie, dis, si j’allais m’éveiller? » Gageons que, si Allmers était un simple mortel et non point un personnage de théâtre – d’un théâtre qui explore les régions les plus secrètes de l’âme -, il s’éveillerait… ainsi qu’il nous arrive, à chaque fois que nous rêvons de la mort d’un être cher et que ce cauchemar nous devient insupportable !… On apprendra également qu’Eyolf – le Grand Eyolf – est le prénom masculin dont Allmers affublait dans l’enfance (sans doute pour masquer une attirance incestueuse) sa demi-sœur Asta et que Rita, épouse sensuelle et jalouse d’Allmers, a découvert cette communauté de prénoms entre son fils et sa belle-sœur. Quant au dialogue conflictuel qui s’instaure entre les époux, après la mort du Petit Eyolf, c’est une mine de révélations.

Lorsque le Petit Eyolf a fait, étant bébé, cette chute qui l’a rendu infirme, ses parents étaient en train de faire l’amour. « Il dormait d’un si bon sommeil », objecte Rita pour se disculper ; mais, quelques répliques plus tôt, confondant ce premier accident et le second, qui fut fatal à l’enfant, elle se contredit et évoque un Petit Eyolf « étendu au fond du fjord. Tout au fond, sous l’eau transparente ( … ) étendu sur le dos, les yeux grands ouverts ». C’est donc sous le regard bien ouvert de son fils que Rita se revoit faisant l’amour avec son mari.

Comment, dès lors, ne pas reconnaître, dans ce que Rita appelle pudiquement 1″‘heure furtive ( … ) cette heure de feu et d’irrésistible beauté », la scène originaire freudienne dont Rita et Allmers restent à jamais les acteurs culpabilisés et le Petit Eyolf l’innocente victime ? « Qui sait, s’interroge Allmers, s’il n’y a pas deux grands yeux d’enfant qui nous regardent nuit et jour ? »… Le roman personnel sous-jacent au drame est constitué par un réseau serré de pensées associatives où s’exprime, selon un processus analogue à l’anamnèse de la psychanalyse, l’inconscient des personnages. Force est de se rendre à l’intuition de Maeterlinck selon laquelle Ibsen aurait « tenté de mêler dans une même expression le dialogue intérieur et extérieur. ( … ) Tout ce qui s’y dit cache et découvre à la fois les sources d’une vie inconnue. Et si nous sommes étonnés par moments, il ne faut pas perdre de vue que notre âme est souvent, à nos propres yeux, une puissance très folle, et qu’il y a en l’homme des régions plus fécondes, plus profondes et plus intéressantes que celle de la raison ou de l’intelligence… » Contrairement à ce que fera plus tard O’Neill, distinguant et articulant, dans L’Etrange Intermède, dialogue et monologue intérieur, Ibsen prépare en secret l’amalgame du dialogue extérieur et du soliloque intime, du réalisme et de l’onirisme. A nous de savoir entendre l’inconscient des personnages et voir 1″‘autre scène » derrière le réalisme bourgeois apparent de cette dramaturgie. Toujours est-il que l’intime du personnage ibsénien se trouve mis à découvert. À la différence du drame bourgeois, l’intimité n’apparaît plus ici comme le vêtement négligé et confortable de l’individu socialisé, mais comme une dernière protection, qui ne peut manquer de tomber, serait-ce au prix d’une désintégration de l’être lui-même.

Avec Ibsen, pour la première fois au théâtre, le drame domestique devient drame intime. L‘intrasubjectivité (relation du personnage avec la part inconnue de lui-même) empiète sur l’intersubjectivité (relation que les différents personnages entretiennent ensemble) ; la parole intime prend le pas sur la parole partagée. Aussi perspicaces qu’elles soient, les analyses de Peter Szondi sous-estiment le rôle de l’intime et de la subjectivité dans la dramaturgie ibsénienne. « La représentation dramatique ibsénienne, peut-on lire dans Théorie du drame moderne, reste reléguée dans le passé et dans l’intériorité. C’est bien là le problème de la forme dramatique chez Ibsen’. » Il est vrai que, dans presque tous ses drames domestiques, Ibsen croit devoir compenser le déficit en action dramatique qu’engendrent l’intériorisation et la rétrospection par un mouvement et une construction dramatiques « scribéens » en trompe-l’œil. Quelquefois, en effet, on est frappé par une contradiction flagrante entre la forme et la matière du drame : rythmes antagoniques du travail intérieur de remémoration et du carrousel endiablé de personnages qui, dans Hedda Gabler, ne font qu’entrer et sortir; antinomie de la multiplication et de la succession rapide des scènes avec la lenteur obligée des conversations… Il n’en reste pas moins que la critique de Szondi, trop prompte à démêler une crise définitive de la forme dramatique et peut-être aveuglée par son allégeance au théâtre épique de Brecht, passe à côté de l’apport décisif du théâtre d’Ibsen : l’invention d’une dramaturgie de la subjectivité (cette même subjectivité sur laquelle le théâtre de Brecht fera l’impasse) dont le ressort principal est, précisément, le travail du passé dans l’intériorité.

Maison hantée, vie fantôme

Le drame ibsénien reprend la structure spatiale du drame bourgeois – le fameux « salon » -, mais en la retournant. Dans le théâtre des Lumières, l’espace intérieur, celui de l’intimité familiale, est constamment menacé par un espace extérieur fauteur de troubles : la crise du Père de famille de Diderot s’ouvre avec une maisonnée en alarme parce que le fils, Saint-Albin, vient de découcher pour la première fois, et elle ne se résoudra que lorsque ce même Saint-Albin sera parvenu à faire accepter par son père et dans sa maison cette Sophie qu’il était allé retrouver dans sa mansarde. Dans les pièces d’Ibsen, au contraire, malheurs et malédictions sont d’emblée installés dans la maison, au cœur de l’espace intime. Des années durant, Mme Alving, des Revenants, a éloigné son fils de sa propre maison afin de le protéger d’un « milieu de souillure » où il ne pouvait que « s’empoisonner ». D’apparence calme et immobile (« Ici, c’est toujours aussi calme. Les jours se suivent et se ressemblent », note Rebecca West au début de Rosmersbolm), la maison ibsénienne renferme un air corrompu par d’anciennes et inexpugnables fautes et par des scandales d’autant plus pernicieux qu’ils ont été étouffés entre les quatre murs. Respirer l’atmosphère de la maison suffit à se charger de ces fautes et à endosser la culpabilité des scandales. « Tout cela dans cette maison, dans cette maison ! » s’écrie le pasteur Manders lorsqu’il apprend la vérité sur le capitaine Alving, sa vie de débauche et ses amours ancillaires. La veuve, qui vient de faire cet aveu, n’a plus elle-même la force de rejeter la faute sur son défunt mari s’adressant à son fils, elle s’enlise dans la culpabilité ‘le crains d’avoir rendu la maison insupportable à ton pauvre père, Oswald. »

L’espace extérieur – le « fjord mélancolique » – n’est certes pas moins sombre que celui de la maison, mais, ici, la nature, le cosmos ne font que refléter l’espace intime, comme ces premiers rayons du soleil matinal qui déclencheront la folie autodestructrice d’Oswald

« Mère, donne-moi le soleil ( … ) le soleil… le soleil !… » Un lieu hanté où les morts pèsent sur les vivants et déterminent leur existence, telle est la maison. Une fois refermée l’heureuse parenthèse des années de jeunesse passées à Paris, Oswald se replie « comme un mort vivant » dans la maison qui l’a vu naître ; il tente de séduire la jeune bonne – qui se révélera sa demi-sœur : la fille naturelle du capitaine et d’une domestique – et, sous le regard halluciné de sa mère, reproduit les comportements de son père:

« MADAME ALVING. Des revenants. Le couple du jardin d’hiver qui revient ( … ).

LE PASTEUR. Comment avez-vous dit ?

MADAME ALVING. J’ai dit un monde de revenants. Quand j’ai entendu là, à côté, Régine et Oswald, ç’a été comme si le passé s’était dressé devant moi. Mais je suis près de croire, pasteur, que nous sommes tous des revenants. Ce n’est pas seulement le sang de nos père et mère qui coule en nous, c’est encore une espèce d’idée détruite, une sorte de croyance morte, et tout ce qui s’ensuit. Cela ne vit pas, mais ce n’en est pas moins là, au fond de nous-mêmes, et jamais nous ne pourrons nous en délivrer. »

Quant à la belle, sensuelle et libre Rebecca West, j’ai déjà évoqué la dégradation progressive, sous l’emprise de la « Maison-Rosmer », de son appétit de la vie et de l’amour en un besoin de paix que les psychanalystes appelleraient « pulsion de nirvâna » : « Rosmersholm m’a volé ma force. Ici, on a rogné les ailes de ma volonté. On m’a mutilée. Le temps n’est plus où j’aurais pu oser n’importe quoi. J’ai perdu la faculté d’agir, Rosmer ( … ). C’est arrivé peu à peu – tu comprends. C’était presque imperceptible au début – et à la fin tout était changé. J’ai été atteinte jusqu’au fond de mon âme ( … ). Tout le reste – ce qui était laid – le désir, l’ivresse des sens – m’a paru si loin, si loin. Toute cette agitation des instincts s’est calmée – jusqu’au silence. J’ai connu une paix profonde – un silence comme celui qui règne là-haut, chez nous, sous le soleil de minuit, sur les rochers où nichent les oiseaux. »

Toutes les maisons ibséniennes sont pareilles à Rosmersholm – « où, comme l’écrit Bernard Dort, les enfants ne crient pas et où personne ne rit jamais. » : maisons hantées, maisons-tombeaux. Si la maison possède ce pouvoir mortifère, c’est qu’elle n’est pas ou n’est plus, pour reprendre un terme qui exprime toute la nostalgie de Solness l’architecte, un « foyer »… « Abandonner ton foyer, ton mari, tes enfants ! » s’exclame Helmer lorsque Nora lui fait part de sa décision de déserter le domicile conjugal ; et l’épouse de rétorquer que ce « foyer » n’est plus, dès lors que l’amour s’en est retiré, qu’une « maison » : « J’avais vécu dans cette maison huit années avec un étranger et ( … ) j’avais eu trois enfants… Ah! je ne puis seulement pas y penser! » « Maison de poupée », qui ne saurait produire qu’une vie naine, atrophiée, mutilée. De même que l’espace extérieur – immensité neigeuse ou océane – métaphorise l’aridité intime, l’espace intérieur trahit l’humanité blessée de ceux qui l’habitent. jamais le « grand salon » de Hedda Gabler ne deviendra ce lieu intime où pourrait se consolider le couple disparate que forment la fille du général et Tessman, son époux : à la première, il manquera toujours un nouveau piano, un maître d’hôtel, une vie mondaine pour que ce lieu corresponde à ses fantasmes d’aristocrate ; et, sur le second, cette demeure trop luxueuse, à l’opposé du « foyer » dont il rêvait, pèsera toujours comme un fardeau. Le Canard sauvage illustre parfaitement ce conflit de la maison et du foyer. Tout le drame se trouve résumé dans l’opposition de l’imposante maison de l’industriel Haakon Werlé, fréquentée par les notables, et du modeste foyer qui abrite Hialmar Hekdal, son épouse Gina, leur fille Hedwige et le Vieil Hekdal, ancien associé de Werlé mis au rancart. Par l’entremise de Grégoire Werlé, fils d’Haakon et dangereux sectateur de la vérité, la maison va ruiner le foyer, provoquer le rejet par Hialmar de sa vie familiale et le suicide d’Hedwige.

Mais la funeste domination du foyer par la maison renvoie, bien sûr, à un autre écrasement : celui de la conscience des personnages par ces puissances invisibles qui hantent leur être intime. Freud a mis en lumière l’analogie de la maison et du moi: « Dans certaines maladies et de fait dans les névroses ( … ) le moi se sent mal à l’aise, il touche aux limites de sa puissance en sa propre maison, l’âme. Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d’où elles viennent ; on n’est pas non plus capable de les chasser. Ces hôtes étrangers semblent même plus forts que ceux qui sont soumis au moi. » Cette part occulte de lui-même, son inconscient, le Solness d’Ibsen lui a même donné un nom imagé : il l’appelle « ses trolls », du nom des génies qui hantent Peer Gynt… Ainsi se présentent la plupart des créatures d’Ibsen : leur moi « n’est pas, dirait Freud, maître dans (leur) propre maison ». La partie obscure de leur psyché annihile en eux l’instinct de vie, les métamorphose en « morts vivants » et transforme leur existence en un fantôme de vie. Les personnages ne cessent de pleurer leur « vie perdue », leur « vie gâchée » (Allmers, dans Le Petit Eyo~f- « Il n’y a plus pour moi de vie à vivre » ; Irène à Rubek, dans Quand nous nous réveillerons d’entre les morts – « Le désir de vivre est mort en moi, Arnold ( … ). Je m’aperçois que toi et la vie… vous n’êtes que des cadavres au tombeau… comme je le fus moi-même »), et ce leitmotiv structure le drame, lui confère sa structure spatio-temporelle.

Avant-dernière pièce d’Ibsen, Jean-Gabriel Borkman porte ces thèmes fondamentaux à leur point culminant. La grande maison de Jean-Gabriel Borkman, qui fut autrefois riche et puissante, n’est plus qu’une espèce de caveau conjugal où se tiennent emmurés, dans deux appartements différents, l’ex-banquier et son épouse Gunhild. Depuis de longues années, les époux ruminent séparément à huis clos la chute de leur empire et de leur maison. Lorsque Borkman a la velléité de sortir de son enfermement volontaire, de renouer avec la vie en reprenant ce combat financier messianique qui l’entraîna jadis en prison, Gunhild le renvoie implacablement à son état de mort vivant:

« BORKMAN. On dirait vraiment que je suis mort!

MADAME BORKMAN (d’un ton ferme). Tu l’es(… )Ne rêve plus jamais de vivre ! Reste étendu où tu es

Au vrai, ce n’est pas tant l’expiation du crime financier que celle d’une faute plus secrète, un crime contre l’amour, progressivement révélé au cours de la pièce, qui a transformé la demeure des Borkman en maison hantée et leur existence en vie fantôme. Borkman a, dans sa jeunesse, renoncé à son amour partagé pour Ella, la sœur jumelle de son épouse Gunhild, afin de mieux asseoir sa puissance. « Tu es un meurtrier! jette à la figure de Borkman Ella, sa belle-sœur. Tu as commis le grand péché de mort ! ( … ) Tu as tué en moi la vie d’amour ( … ). Tu n’as pas craint de sacrifier à ta cupidité ce que tu avais de plus cher au monde. En cela tu as été doublement criminel. Tu as assassiné ta propre âme et la mienne ! » Pulsion de vie retournée en pulsion de mort ; existence convertie en deuil permanent.

Le propre de la névrose, nous dit Freud, est de rendre l’amour impossible. Et ce manque plonge les personnages ibséniens au plus profond de la mélancolie. De même que la psychanalyse nous ramène des conflits que nous vivons avec d’autres individus vers ceux que nous avions, sans le savoir, avec nous-mêmes, le théâtre d’Ibsen fait parcourir à ses personnages le chemin qui les conduit de leurs affrontements avec leurs proches, leur entourage, la société jusqu’à leurs déchirements intimes. Dans les deux cas, cela se fait à la faveur d’une émergence progressive des pensées inconscientes. « Il est si facile de perdre la mémoire de soi-même », constate Mme Alving. Tout au long du drame ibsénien, ce n’est pas seulement le passé des personnages – leur roman familial – qui remonte à la conscience des personnages, mais, comme dans une psychanalyse, ce qui, dans ce passé, fait sens, ce qui a été refoulé et, du même coup, se répète inconsciemment dans le présent et obère l’avenir. Mais l’analogie du théâtre ibsénien et de la psychanalyse s’arrête là : le but de celle-ci est de tenter de rendre à la vie ses patients ; la tension de celui-là, théâtre du tragique domestique et intime, ne saurait être que la mise à mort du personnage : la pulsion de mort dans son cours irrépressible et suicidaire, telle qu’elle s’exprime dans l’objurgation d’Oswald à sa mère, Mme Alving : « Quelle sorte de vie m’as-tu donnée? je n’en veux pas! Reprends-la ! « 

Scène d’amour au seuil de la mort

Le cours de la « vie perdue » n’est pas susceptible d’être redressé. Le seul salut que puissent espérer les personnages, c’est une miraculeuse renaissance, un « réveil d’entre les morts » à la fois intime et cosmique, un « revivre » aussi éclatant qu’éphémère. « Oh! Que ne puis-je revivre ! – faire que tout cela ne soit pas arrivé ! » s’exclame Oswald, le petit œdipe, dans ce même délire où il demande à sa mère de lui donner le soleil. Eblouissement : ultime et première jouissance concomitante d’une mort dont la mère serait la pourvoyeuse. Dételer cette « vie gâchée » et en inaugurer une nouvelle, fût-elle extrêmement brève, fût-elle rêvée, c’est le sens de l’épilogue, de la Catastrophe en forme de Gloire qui clôt plusieurs drames d’Ibsen. Epilogue doit ici être entendu dans une seconde signification, complémentaire de celle, précédemment dégagée, qui fait du drame le dénouement du roman non écrit : une scène d’amour au seuil de la mort présente, en filigrane, dans toutes les pièces et, de façon manifeste, dans Rosmersbolm et dans la dernière, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts.

Aux dernières secondes de Rosmersbolm, Mme Helseth, la gouvernante, se fait, auprès du public, la messagère quelque peu mystifiée de la bienfaisante Catastropbe:  » (regardant autour d’elle). Sortis ? Dehors, tous les deux, à cette heure-ci ( … ). (Se dirigeant vers là,fenêtre et regardant au-dehors.) Seigneur Jésus ! Cette tache blanche, là-bas_ ! Oh, mon Dieu, ils sont tous les deux sur le pont ! Ayez pitié des pauvres pécheurs. Ne voilà-t-il pas qu’ils s’embrassent ! (Poussant un grand cri.) Oh – par-dessus le parapet -, tous les deux ! Droit dans le torrent. Au secours ! Au secours ! » Quant aux amants de Quand nous nous réveillerons d’entre les morts, ils mettent fin à des années de vie « séparée » et « gâchée » en escaladant la montagne et en allant au-devant d’une avalanche qui sera leur lit nuptial et, aussi, leur linceul :

« RUBEK (la saisissant violemment dans ses bras). Eh bien, veux-tu qu’en une seule fois nous vivions la vie jusqu’au fond… avant de regagner nos tombes ?…

IRÈNE. Dans la splendeur lumineuse des sommets, sur la cime de l’oubli!

RUBEK. Irène, mon adorée… oui, c’est là que nous célébrerons notre fête nuptiale ( … ).

IRÈNE (comme transfigurée). Je suivrai volontiers, sans réserve, mon màltre et seigneur.

RUBEK (l’entraînant). D’abord, Irène, nous fendrons les brouillards et puis…

IRÈNE. Oui, à travers les brouillards vers les sommets, où resplendit le soleil levant.

Les nuées descendent et s’épaississent. Rubek et Irène, la main dans la main, montent, traversant le névé et disparaissent bientôt dans le brouillard qui tombe.

La scène d’amour au seuil de la mort peut se présenter, dans les autres drames, sur un mode plus discret ou dégradé, elle n’en constitue pas moins, dans son ambivalence de mort-résurrection, la seule issue possible au tragique ibsénien : Solness grimpant en haut de la tour, en communion télépathique avec Hilde, puis s’écrasant aux pieds de la jeune fille; Mme Alving sur le point d’offrir à Oswald, d’un même geste, la mort et le soleil orgastique qu’il réclame ; Allmers et Rita, les parents du Petit Eyolf, regardant ensemble, statufiés, « vers les sommets, vers les étoiles. Et vers le grand silence » ; Ella et Gunhild, les jumelles rivales, penchées sur la dépouille mortelle de Borkman telles « deux ombres au-dessus du mort » ; ou encore, dans un esprit plus ironique, Helmer se mettant à espérer, aussitôt que Nora a quitté la « maison de poupée », « le plus grand des prodiges » et Hedda-Lovborg se donnant tous deux la mort – l’une volontairement, l’autre dans une sorte d’acte manqué – tandis que Tesman et Mme Elvsted s’efforcent de reconstituer le manuscrit br-ûlé, cette relique.

Dans sa dimension sacrificielle, le suicide du couple, à quoi se résume la scène d’amour au seuil de la mort, ressortit plus à une élévation qu’à une chute. Assomption des amants ou des époux par la force de l’amour retrouvé. Perte qui est aussi un gain, comme l’affirme Allmers à Rita, dans Le Petit Eyo~f :

« ALLMERS. …Une résurrection, le passage à une vie plus haute.

RITA (avec un regard de désespérance). Oui, mais au prix du bonheur, de tout le bonheur de la vie.

ALLMERS. C’est un gain, Rita, que cette perte. »

Ainsi l’apaisement final – qui n’est pas celui d’un conflit intersubjectif mais celui des tensions internes aux personnages – réalise une double fusion rédemptrice. Fusion de deux êtres (Rebekka et Rosmer, l’un à l’autre : « Maintenant nous sommes un »). Fusion de l’intime – valeur interdite dans la « grande maison » – avec le cosmos.

De Rosmersbolm à Quand nous nous réveillerons, Ibsen épure sa dramaturgie. Il l’allège de toute intrigue secondaire, réduit le nombre des personnages et les entrées-sorties qui donnaient à des pièces comme Maison de poupée, Le Canard sauvage ou Hedda Gabler des allures de drame bourgeois. Coïncident enfin la pièce et l’épilogue, cette scène d’amour au seuil de la mort. Et c’est à juste titre que le vieil écrivain peut appeler Quand nous nous réveillerons…. la plus dépouillée de ses œuvres (un « échange » au sens claudélien : Rubek, l’artiste mélancolique, retrouve Irène, femme dont la vie s’est jadis arrêtée ; Maïa, son épouse, affamée des bonheurs terrestres, part avec le Chasseur d’ours, force de la nature et viveur impénitent), son épilogue dramatique. Ibsen, qui proclamait qu »‘écrire, c’est appeler sur soi le jugement dernier », livre in extremis son lever de rideau pour le jour de la Résurrection. A ce degré de jubilation et d’élévation artistique, il ne lui reste plus, à l’instar de Rubek, qu’à attendre que la mort fonde sur lui, Ce qui se produit presque immédiatement, par l’entremise d’une attaque d’apoplexie qui, tout en lui accordant six années de survie, le statufie physiquement et littérairement. Quand nous nous réveillerons… se substitue ainsi, à titre de testament littéraire, aux Mémoires que l’écrivain norvégien annonçait dans le discours de son jubilé : « un gros volume que j’ai l’intention d’écrire, un livre qui unira ma vie et ma production et en montrera l’unité ». Mais la personnalité et l’art ibséniens n’étaient-ils pas fondamentalement étrangers à ce projet d’une synthèse de la vie et de la production littéraire, à cette pratique de la « confession » ou, pour prendre un terme plus moderne, de l »‘autobiographie » qui fondera I’œuvre d’un Strindberg ?

Au vrai, l’opposition entre Ibsen et son cadet Strindberg – et, depuis, l’affrontement des ibséniens et des strindbergiens – résume l’alternative du drame au tournant du siècle dernier. Des deux dramaturges scandinaves, le premier se tourne vers le passé et achève, en une sorte d’apothéose funèbre – l’épilogue dramatique -, l’histoire de la tragédie bourgeoise que Diderot avait ouverte dans le plus grand optimisme; le second, au contraire, ne cesse d’interpeller l’avenir, d’essayer de faire table rase de la dramaturgie héritée des XVIII et XIX siècles et d’inventer des formes nouvelles. Tandis qu’Ibsen se veut un constructeur et sacrifie tout à ce « long et patient travail de construction dramatique, excitant et énervant », Strindberg s’affirme, dès Le Fils de la servante, comme un destructeur: « On le traitait volontiers, relate-t-il, de génie destructeur, car il démontait tout : jouets, montres, tout ce qui lui tombait sous la main. » Contemporains de Freud, les deux génies dramatiques accordent le rôle prépondérant aux pulsions inconscientes. Ils pressentent l’un comme l’autre que, désormais, dans le déroulement d’un drame, l’intrasubjectivité pèsera plus lourd que l’intersubjectivité. Bref, ils installent le drame dans l’intime de l’être. Mais, à partir de là, leurs chemins se séparent. Et le meilleur témoignage de cette divergence se trouve dans la lecture tendancieuse que, dans ses Vivisections, Strindberg donne de Rosmersbolm : il ne s’intéresse qu’au « meurtre psychique » que Rebecca West aurait perpétré, bien avant le lever de rideau, sur l’épouse de Rosmer ; il croit déceler une lutte mentale, un « combat des cerveaux » là où règne la foncière passivité du personnage ibsénien.

Strindberg inventera une dramaturgie de part en part subjective, un théâtre autobiographique où il impose constamment sa propre présence au milieu de ses personnages et où ces personnages ne sont que des projections et des dédoublements de lui-même. Ibsen, à l’opposé, aura été le dernier grand dramaturge à observer cette loi selon laquelle l’auteur doit complètement s’effacer devant ses personnages et rester invisible et silencieux tout au long de la pièce. Même lorsqu’il serre au plus près, à travers le personnage de Rubek, ses angoisses et sa mélancolie personnelles de grand artiste au seuil de la mort, Ibsen, homme d’un autre temps et d’une autre tradition, refuse de céder à ce théâtre à la première personne que prépare en son athanor l’alchimiste Strindberg.

NOTES

1. Peter Szondi, Théorie du drame moderne, traduit de l’allemand par Patrice Pavis, avec la collaboration de jean et Mayotte Bollack, L’Age d’homme, coll. « Théâtre-Recherche », 1983.

2. Maurice Maeterlinck, « Le Tragique quotidien », in Le Trésor des humbles, Editions Labor, Bruxelles, 1986.

3. Bernard Dort, « A la croisée des chemins », in Rosmenbolm, texte français de Terje Sinding et Bernard Dort, Editions du Théâtre national de Strasbourg, 1987. C’est ce texte de Rosmersbolm que je cite dans le présent chapitre.

4. Sigmund Freud, « Une difficulté de la psychanalyse », in Essais de psychanalyse appliquée, Idées/Gallimard, n° 353.

5. Henrik Ibsen, Un poème, cité par Terje Sinding dans son article « Strindberg, Ibsen – tours et détours de la subjectivité » in Théâtrelpublic, n° 73, consacré à Strindberg, janvier-février 1987.

Sylviane Agacinski / L’appel de la mer: Ellida

 

Sylviane AgacinskiExtrait de Drame des sexes, de Sylviane Agacinski

La Librairie du XXI siècle, Seuil, 2008, p55-59

 

La Dame de la mer (1888)[1] est une pièce à part. C’est la seule œuvre dans laquelle Ibsen ose traiter directement de la folie du désir, même si c’est pour mieux en programmer la guérison. Je ne peux m’empêcher d’y voir le pendant de Brand, comme si, à la démesure de la spiritualité et au conflit du ciel et de la terre, répondaient ici la démesure du désir sauvage et un conflit de la mer et de la terre. Cette fois, pourtant, la raison l’emportera sur le désir impossible. Mais l’appel de la mer, aussi intraitable que l’était celui du ciel pour Brand, vient ici de la nature et non de l’Au-Delà, et il donne à cette pièce une dimension poétique païenne et non chrétienne.

Ellida, la « Dame de la mer», est la proie d’une «vertigineuse nostalgie[2]» de la mer, nostalgie associée à la passion qui la lia jadis à un marin étranger. Ce lien l’enlève à l’amour solide mais prosaïque de son mari, le docteur Wangel, et la plonge dans l’angoisse lorsque le marin revient la chercher.

Ellida éprouve d’autant plus la fascination de l’océan, du grand large, qu’elle se sent à l’étroit dans une vie passive. Alors qu’elle subit avec angoisse l’attraction de la mer et celle du marin, son mari croit d’abord pouvoir la protéger lui-même de l’étranger. Dans un premier temps, il ne songe même pas qu’Ellida puisse décider elle-même de sa vie. Elle est sa femme, elle lui appartient, et c’est à lui de chasser l’étranger qui prétend aimer Ellida et être aimé d’elle : « Ma femme n’a aucun choix à faire, déclare-t-il au marin. C’est à moi de choisir et de la protéger. » Ellida connaît sa condition d’épouse: «Tu peux me retenir – tu en as le pouvoir et les moyens […] mais mon âme, – mes pensées, – mes envies et mes désirs, – ceux-là, tu ne pourras pas les enfermer»[3]. Wangel lui laissera finalement choisir sa voie elle-même. C’est au moment précis où elle peut exercer sa liberté que se produit en elle une métamorphose. Le marin n’est plus un rêve, il n’est plus l’image pure d’un ailleurs, le fantasme de l’illimité et de l’ouvert, mais une possibilité réelle : elle peut partir avec lui si elle le veut. Ce n’est qu’au cinquième acte qu’elle cesse d’être captive de son rêve: «J’ai pu choisir, c’est pourquoi j’ai pu y renoncer. »

Faut-il croire cependant, avec Wangel, que la nostalgie de la mer n’était rien d’autre qu’un «désir naissant de liberté»? Qui pourrait jurer qu’Ellida est définitivement « guérie » de cette fascination, et que cette attraction elle-même était essentiellement morbide ? La liberté de choix est une chose belle et essentielle, mais le mystère de l’océan, sa profondeur, la puissance de son flux et de son reflux, et l’attrait qu’il exerce sur la sensibilité d’Ellida, ne peuvent valoir uniquement comme le symbole d’autre chose. De fait, Wangel connaît la passion de sa femme pour la mer : lorsqu’elle le rejoint, il l’accueille par un « Tiens, voilà, la sirène ! » (acte I).

Comment ne pas reconnaître que la Dame de la mer est fascinée par la chose même: la mer, l’océan lui-même? Le désir que le marin lui a jadis inspiré prenait d’ailleurs sa source dans leur passion commune de la mer, des marées, des oiseaux, des dauphins et des phoques. La mer, où les deux amants du large avaient jeté leurs anneaux réunis pour célébrer leur union, est d’abord une réalité élémentaire. Elle est ce monde mouvant, vivant, immense, d’où toute vie est originaire. Il y a, dans la nostalgie de la mer, la trace d’une profonde mélancolie des hommes arrachés jadis à l’élément liquide pour vivre sur la terre ferme. On peut aussi penser au liquide maternel d’où sort tout être humain, mais la nostalgie de la vie intra-utérine n’exclut pas celle d’un élément beaucoup plus vaste et plus ancien. On sait que la mer avait sur Ibsen lui-même un fort pouvoir d’attraction. L’angoisse d’Ellida peut alors se comprendre comme l’effet d’un déchirement entre un désir de liberté conduisant à être soi, désir d’autodétermination, donc d’autolimitation, d’autonomie, et un désir du large, de l’infini d’un monde marin où s’abolissent les limites terrestres, les fjords étroits et les contraintes sociales. Cette nostalgie a sa puissance et sa vérité propre, en même temps qu’une valeur allégorique.

La nostalgie entre en scène, au tout début de la pièce, à travers une légende : un peintre cherche un modèle pour la sirène « à moitié morte» qu’il veut représenter dans un paysage. Pourquoi « à moitié morte ? » lui demande-t-on : parce qu’elle s’est égarée dans le fjord et n’a pu retrouver le chemin de la mer, alors « elle agonise dans l’eau saumâtre»[4]. Le désespoir mortel de cette sirène ressemble à un sentiment d’exil, mais de nature païenne. Il y a une forme chrétienne du sentiment de l’exil, une nostalgie de l’infini face à tout ce qui est borné et fini. Mais la mélancolie chrétienne, tournée vers le ciel, comme celle de Brand, ou celle, métaphysique, de l’âme exilée dans un corps dans les textes de Platon, rejette l’animalité de l’homme, alors que, avec son corps à demi bestial et marin, la sirène est un être vivant et sensuel. Elle appartient au monde de la nature et de cet océan, en lequel Michelet voyait « la grande femelle du globe[5]».

La nostalgie de la mer s’associe à l’attraction sexuelle d’EIlida pour le marin, comme si son goût pour l’océan (elle adore s’y baigner) et son désir de l’étranger révélaient un même désir de se perdre. Ou plutôt, la perte a déjà eu lieu – Ellida se sent appartenir à la mer comme à l’étranger, l’une et l’autre exerçant sur elle la même attraction : « Cet homme est comme la mer. » Il s’agit donc de l’amour, du désir tel qu’il a de tout temps été vécu et décrit : captation, exil, aliénation. Ellida est emportée ailleurs par son désir, au large, elle ne s’appartient plus, elle est à un autre, et pourtant elle demande à son mari de la sauver de cet amour sauvage qui menace son individualité.

La puissance du désir sexuel est toujours féminine chez Ibsen. Lorsque Rebecca West, dans Rosmersholm, avoue à Rosmer qu’elle avait éprouvé pour lui un violent désir, c’est l’image de la mer qui s’impose à elle : « Cela s’est abattu sur moi comme une tempête sur la mer. Une de ces tempêtes que nous connaissons en hiver, là-haut, dans le nord. Ça se jette sur vous et vous emporte, tu comprends, – vous emporte jusqu’au bout du monde. Rien ne sert d’y résister[6]. »

Ellida est prise elle aussi dans la tempête d’un désir auquel elle ne peut s’opposer (alors que sa volonté la porte vers la terre ferme et vers son mari), un désir dont la nature sexuelle se laisse facilement percevoir puisqu’elle avoue à Wangel être « face à l’effroyable», c’est-à-dire à «ce qui fait peur et qui attire, qui attire surtout»[7].

Cette inquiétante fascination erotique est présentée comme une maladie, et le docteur Wangel se montrera « un bon médecin ».

Ce qui est redoutable, dans la force de l’attraction sexuelle, dans l’hypnose où elle plonge, c’est la menace qu’elle fait peser sur le sujet, sur la maîtrise et la disposition de soi. Dans sa forme passionnelle, le désir est l’expérience d’un transport hors de soi. Il se situe à l’opposé absolu de la liberté de choix, de la liberté de décision. Le drame de la Dame de la mer est là, dans le conflit entre le désir de liberté de qui aspire à être soi-même, et la liberté du désir, qui, à l’opposé, est le mouvement vertigineux de qui ne s’appartient plus. Cette liberté du désir qui tourne le sujet ailleurs, vers l’autre, vers le mystère et l’étranger, prend la forme d’une nécessité qui emporte tout. Elle a la force impersonnelle d’un instinct ou d’un destin. Le désir sexuel est source d’angoisse dans la mesure où son flot compromet la stabilité du sujet volontaire et construit.

Brand allait jusqu’au bout de sa logique, jusqu’à sa chute. Ellida cède aux lois d’une vie plus sage – comme si Ibsen faisait reculer son personnage devant la puissance de l’attrait erotique où il risque de s’abîmer.


[1] In Les Douze Dernières Pièces, op. cit., vol. III.

[2] La Dame de la mer, op. cit., acte II.

[3] Ibid., acte V.

[4] Ibid., début de l’acte I.

[5] In La Mer {1875).

[6] Rosmersholm, op. cit., acte IV.

[7] La Dame de la mer, op. cit., acte IV.